Il va falloir être patient, car la conclusion de cette petite histoire ne devrait survenir que dans plusieurs mois.
Vendredi dernier, après une vingtaine d'années de retraite silencieuse et deux ans de garde-meuble, un quart queue Pleyel de 1953 a retrouvé la lumière chez un célèbre facteur de pianos d'Île de France.
Après un premier examen rapide, Grégoire Magne juge l'instrument digne d'être remis en état. « C'est vraiment bon tout ça » dit-il simplement. Tout bon que ce soit, une fois examiné plus en profondeur, on sait qu'il faudra
Chouette, un nouveau feuilleton : j'adore ça ... J'y connais rien en piano pourtant ce que tu nous montres à l'air quasi "neuf" ! Est-ce à croire que telle une voiture ancienne (je connais mieux) un piano "oublié" s'abîme ?
C'est bien entre autres parce que ça a l'air quasi "neuf" que la remise en état est intéressante. Pas seulement, car c'est aussi un instrument bien conçu et musical. Une remise en état est une intervention un peu lourde, alors, si l'instrument doit, après tous les efforts consentis, être médiocre, il vaut mieux ne rien faire.
Le fait que ce soit quasi "neuf" permet de se passer de certaines interventions nécessaires sur des pianos plus abîmés, comme de devoir refaire aussi la table d'harmonie, ou une partie de la mécanique. Et aussi, la finition extérieure du meuble.
La non utilisation, et un mauvais stockage peuvent produire des effets indésirables, le principal étant la perte de charge de la table d'harmonie et sa fissuration. Le bois de la mécanique peut être altéré. Enfin, un piano très ancien peut avoir une mécanique presque impossible à régler correctement, à la fois à cause de sa conception initiale (on a fait beaucoup de progrès dans la conception des mécaniques), et à cause du vieillissement comme de l'usure, par exemple du jeu dans les axes qui rend nécessaire de tout démonter et refaire. Ici, tout est en bon état, seulement très déréglé.
mécanique déréglée : les mécanismes de chaque note devraient être calés de manière identique
Mais le simple écoulement des années fait par exemple que les cordes n'ont plus la résistance suffisante pour sonner correctement ; c'est ici le cas des cordes de basse, dites cordes filées, qui sont d'origine. Puis l'usage, tout simplement, dérègle la mécanique et abîme les feutres des marteaux.
Par exemple, on voit nettement ci-dessous sur ce piano récent que les feutres des marteaux ont été tassés par la frappe sur les cordes (il s'agit d'un autre piano et d'une mécanique allemande Renner (fabricant allemand) plus récente).
Pour conserver le son du piano, régulièrement, on ponce les marteaux pour leur redonner le bon profil, et on retravaille les feutres pour ajuster leur dureté. Après plusieurs ponçages, il ne reste plus assez de matière, et il faut remplacer les feutres. C'est le cas sur ce Pleyel dont les marteaux ont été poncés plusieurs fois (la mécanique n'est pas une Renner, mais une Schwander (Herrburger-Schwander, fabricant français disparu), couramment montée sur tous les pianos français de l'époque).
Vous pouvez remarquer, par ailleurs, que les têtes de marteaux du Pleyel sont plus légères que sur les pianos allemands récents comme celui ci-dessus (indépendamment de l'usure qui ne se voit pas vraiment sur la photo —cela est évident sur les petits marteaux des aigus que je n'ai pas photographiés).
Enfin, sur ce piano, une malencontreuse intervention ancienne a fait que la charge des cordes sur le chevalet (qui, sous la tension des cordes transmet les vibrations à la table d'harmonie, comme sur tous les instruments à cordes) n'est pas également répartie, ce qui fait que les aigus et une partie des médiums sont faibles ; la dépose et repose du cadre en fonte permettra de refaire le calage correctement.
Intéressant tout cela. Nous aurons la patience d'attendre la suite de ce reportage même si cela dure plusieurs mois avec peut-être au final une photo du tôlier jouant de ce piano qui aura retrouvé une seconde jeunesse.
Le travail sur ce piano se fera en deux étapes : la mécanique, et l'ensemble cadre/cordes. Enfin, il faudra faire l'harmonisation (c'est à dire le réglage du son de l'instrument, en intervenant sur la dureté des feutres des marteaux, note par note). Je tenterai d'en faire un bon reportage, il y a tant de belles choses à voir dans un piano.
Le tôlier qui a eu, autrefois, un niveau musical très honorable, n'a plus touché de piano pendant 20 ans. Il découvre combien il reste des souvenirs de gestes, et combien ces souvenirs sont déconnectés de ce que les mains savent encore faire, réduit à peu près à néant. Il faudra plusieurs mois, un an ? Cela laisse du temps pour la remise en état de l'instrument.
Les pianos vieillissent et se détériorent. Pour certains qui avaient un intérêt musical élevé lorsqu'ils étaient neufs, la remise en état est intéressante.
Celui-ci ne fait pas exception, il s'est lentement et sûrement abîmé, de manière rémédiable.
La partie harmonique vient d'être restaurée, c'est à dire les cordes et la table d'harmonie. Les cordes sont tendues sur le cadre en fonte dont la seule fonction est de supporter la très forte compression (environ 20 tonnes). Il est positionné de manière à ce que les chevalets soient en compression sur la table pour lui transmettre les vibrations des cordes. La table, bombée comme l'est aussi celle d'un violon ou d'une guitare, est protégée par un vernis afin de la rendre moins sensible aux variations hygrométriques, car elles engendrent des variations dimensionnelles qui peuvent la fendre. Ce vernis a été refait. Les cordes, les années passant, perdent leurs caractéristiques physiques originelles, ce qui altère le son. Le galbe de la table peut aussi avoir un peu changé.
Le démontage qui a été fait permet de redisposer le cadre de manière à assurer la pression idéale des cordes sur les chevalets et donc sur la table ainsi qu'elle était prévue à l'origine par le fabricant. On en est actuellement à ce stade. Il faut maintenant, pendant plusieurs semaines, mettre progressivement les cordes en tension. On le fait par paliers non seulement pour contraindre progressivement les cordes, mais aussi la table, et éviter la rupture. On arrivera ainsi au diapason la 440 Hz, ce qui se faisait à l'époque de la construction de ce piano. Aujourd'hui c'est le la 442 Hz qui est généralement devenu la règle.
La prochaine étape concerne la mécanique et le clavier. Fait de bois, celui-ci se déforme aussi en vieillissant. Il faudra y remédier. La mécanique elle-même, également intégralement en bois, est constituée d'une sorte de triangle articulé contraint en position ouverte par un ressort, qu'on appelle le chevalet1, et d'une pièce verticale pivotante, le bâton d'échappement.
Le bâton d'échappement pousse le marteau vers la corde, puis échappe pour le laisser retomber après la frappe, en se positionnant de manière à permettre de relancer immédiatement le marteau, avant même que la touche soit remontée à sa position de repos2.
Le chevalet joue deux rôles : - il est le support du bâton d'échappement, - il reçoit le marteau lors de sa chute une fois la touche enfoncée en fond de course et la corde frappée, pour le ramener vivement et souplement en position d'être relancé.
Les mouvements sont amortis par de nombreux tampons de feutre, qui petit à petit se tassent. Chacun des 88 chevalets devra être remis en position optimale, tous ses axes vérifiés et parfois remplacés.
Vidéo montrant le fonctionnement du mécanisme (mécanique Renner actuelle ; pratiquement tous les pianos modernes fonctionnent de la même manière).
_______________ 1. c'est le même nom que le chevalet entre la corde et la table… mais ce n'est pas la même chose. 2. des explications illustrées viendront, soit avec des photos soit avec des schémas.
Comment ne pas être fasciné par autant d'ingéniosité qui a conduit des hommes à mettre au point ce fabuleux instrument ... Tout autant fascinant est le soin apporté à lui redonner ses performances d'antan avec les compétences techniques modernes mais respectueuses de la tradition. Très remarquable la volonté des propriétaires de prendre le temps (et les moyens sans doute non négligeables) d’œuvrer pour cette restauration. Félicitations et longue vie à ce Pleyel
Ci-dessus, vue avant la dépose des touches. Lors de la fabrication, les touches ont été découpées dans une planche de hêtre.
On voit sur la photo les orifices de guidage, mortaises de balancier et d'enfoncement, le pilote, capsule de laiton dont la hauteur est réglable et qui commande le mécanisme, et en fond l'attrape, pièce garnie de cuir positionnée sur une tige métallique, qui attrape le marteau après la frappe de la corde, pour empêcher son rebond et qu'il frappe deux fois les cordes. La partie visible du clavier est habillée d'ivoire (depuis l'interdiction de l'utilisation de l'ivoire on utilise des résines), et de bois d'ébène. Les touches sont enlevées et individuellement nettoyées, le bois pour la beauté de la chose, et le laiton des pilotes pour assurer un bon contact entre le laiton et le feutre situé sous le talon de la mécanique. La touche enlevée vient d'être nettoyée. Les touches voilées seront redressées lors d'une prochaine séance de travail.
Le châssis (vue ci-dessous) est une structure de bois, ici de chêne, comportant trois barres longitudinales, la barre de repos à l'arrière habillée d'une bande de feutre, sur laquelle la touche est posée au repos, la barre de balancier au centre, portant les pointes de balancier en métal, et la barre d'enfoncement portant les pointes d'enfoncement. Les garnitures, disques de feutres appelée mouches et calées en hauteur par des disques de papier pour les réglages fins, viennent ici d'être enlevées pour faire un nettoyage à fond. Elles seront remplacées par des mouches neuves, car elles ont l'âge du piano.
ci-dessous après nettoyage, le dépôt d'oxydation légère en surface des pointes a été enlevé pour garantir que les mortaises des touches coulissent librement
Par laxisme (est-ce parce qu'il s'agit des dernières années du fabricant avant sa faillite de 1961 ?) l'assise des pointes de balancier a été frappée et abîmée lors de la fabrication, l'outil de guidage des pointes lors de leur fixation ayant perforé le bois. De ce fait, l'assise des mouches de balancier n'était pas bonne. On vient de corriger ce défaut avec de la pâte à bois.
photos au téléphone portable La suite au prochain numéro
Oui, avec ses propres pièces en dehors de celles qui s'usent. On démonte et on remonte, après nettoyage, et rectification éventuelle des pièces déformées. C'est pour cela que j'ai eu l'idée de faire ce sujet. Je photographierai prochainement certaines opérations de travail sur la mécanique, dont les axes sont vérifiés un à un, et changés chaque fois qu'une faiblesse est repérée (trop ou pas assez de jeu, déformation). Il y a trois axes par chevalet, et un chevalet par note, soit 88.
Le travail préparatoire se fait en parallèle sur le clavier et l'ensemble mécanique.
Chaque chevalet a été démonté pour être précisément recalé à la position exacte permettant d'être actionné par la touche et de soulever le marteaux vers les cordes. Lors de ce premier passage général sur la mécanique, les chevalets dont les axes fonctionnent mal ont été repérés (friction, ou axes tordus).
réglage et vérification du bon positionnement et de la rotation sans friction.
Sur le plateau de clavier, après nettoyage soigné, des mouches de balancier provisoires ont été placées pour remettre en position les touches, car il a été repéré qu'une bonne quantité sont plus ou moins voilées. Remises en position avec soin, il va être possible de repérer précisément les déformations pour les rectifier.
Le chef m'a accepté comme petite main et je n'interviens que sous sa direction, sur les tâches accessibles aux apprentis. Dès le début, je lui avais demandé la permission de photographier précisément ce travail. Il m'a permis de faire un peu plus.
Comme cela m'intéresse particulièrement, il m'a proposé d'apprendre certaines choses et de participer. Lorsque ce sera terminé, j'en saurai plus que la plupart des pianistes, mais je ne serai pas devenu pour autant capable de restaurer, ni même réviser un piano tout seul !
Regardez bien les photos : les mains qui interviennent sur le clavier et celles qui interviennent sur la mécanique ne sont pas les mêmes.