BÂTIMENTS D'HABITATION
1. Thèmes architecturaux
Si s'est posée la question de l'attitude à adopter pour la reconstruction des bâtiments les plus lourds de sens (comme les églises), celle de l'implantation et du style des bâtiments publics et des services, ce qui a dû être traîté en urgence, pour répondre à la demande des sinistrés dont la plus grande partie vivait en baraquements provisoires, c'est la reconstruction de l'habitat.
Suivant les villes et les quartiers, il s'agit d'habitat individuel, ou d'immeubles collectifs.
Les rythmes, les volumes, dans la plus grande partie des cas, font appel à des références à la tradition régionale : grands toits d'ardoise ou de tuiles plates, souches de cheminées, chiens assis et lucarnes.
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Lessay
En façade, on constate une grande homogénéité générale des matériaux et techniques employés, la pierre et le béton armé étant dominants. La pierre provient soit de récupération, soit de carrières locales, et sa mise en œuvre, sur un temps très court, généralement exécutée avec soin, est très datée. Les joints de mortier de ciment sont larges, les blocs équarris de manière plus ou moins régulière, de taille moyenne.
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Le cadres de baies, sauf exception rare, liée à un programme d'exception, sont en béton armé, dont les traîtements sont soignés, et correspondent au goût de l'époque : essentiellement des bétons bouchardés.
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La qualité plus ou moins grande des détails est liée à la valeur des bâtiments avant leur destruction. La valeur de reconstruction à neuf des bâtiments détruits a été estimée, et la mise en œuvre des nouvelles constructions est plus ou moins luxueuse, en rapport avec ces estimations.
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Si dans la majeure partie des cas, c'est une sorte d'architecture régionaliste, très homogène, qui a été utilisée dans les villes reconstruites, certains ensembles portent plus nettement la marque d'une recherche contemporaine. Ici, cet immeuble de la place de la mairie de Saint-Lô a été dessiné avec l'intention manifeste d'apporter un caractère monumental et urbain, suivant les canons en vogue dans les années 40-50.
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Les audaces architecturales sont rares dans le domaine de la reconstruction de l'habitat. Lorsqu'elles se manifestent, elles peuvent être pour le moins curieuses. Ci-dessous, dans les quartiers est de Saint-Lô, un essai de mise en œuvre de panneaux préfabriqués de béton armé, avec une finition de graviers apparents.
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2. Typologie (esquisse d'esquisse)
C'est essentiellement sous la forme de constructions à l'alignement sur rue que la reconstruction a été menée. Parfois, sur l'ancien tracé des rues, la plupart du temps, sur des tracés remaniés, et, plus rarement, après un travail de recomposition totale de l'espace urbain (cas de Saint-Lô).
A Coutances, le parti d'urbanisme a été élaboré en respectant le plus possible les anciens tracés de rues, et les bâtiments nouveaux sont généralement à l'emplacement qu'occupaient les bâtiments détruits. Ils en ont de manière logique les gabarits.
Ici, un alignement dense sur la rue principale, constitué d'immeubles d'habitation.
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Coutances
Si l'exemple ci-dessus est relativement austère, ce qui est probablement lié à la qualité des immeubles détruits, d'autres ont été réalisés avec plus de soin, comme ici, à quelques centaines de mètres dans la même rue de Coutances.
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Coutances - à gauche, immeuble reconstruit, à droite, immeuble de la fin du XIXe siècle
Même lorsque l'espace urbain est réorganisé et que les alignements sont nouveaux, c'est la référence à l'habitat antérieur, construit à l'alignement, qui est la norme. L'architecture emprunte aux canons des années quarante (baies larges horizontales, encadrements et bandeaux très présents), et à l'architecture traditionnelle régionale (volumes des toitures). La morphologie ancienne, commerces à rez-de-chaussées et habitat dans les étages, est reconstituée.
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Périers, place principale
Même lorsqu'il s'agissait de petites propriétés, comme ce commerce et son logement associé, la reconstruction prend en compte la restitution de ce qui a pré-existé. Ce petit ensemble est typique de l'ensemble des constructions nouvelles en Cotentin après la guerre : un commerce au rez-de-chaussée, et un étage d'habitation constitué d'une façade de moellons de pierre.
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Commerce à La-Haye-du-Puits
Si une mise en œuvre presque unique des matériaux domine nettement dans l'ensemble des villes reconstruites de la Manche, on trouve, comme ici à Valognes, qui a fait l'objet d'un soin tout particulier, des ensembles de nature différente suivant les îlots, et qui peuvent faire appel à des matériaux plus nobles, comme ici la pierre de taille. Généralement, la richesse de ce qui a été reconstruit est liée à celle des bâtiments antérieurs.
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Valognes, avenue de la Division Leclerc
Ici, par exemple, à Coutances, c'est une rue résidentielle aisée qui a été restituée, chaque maison étant différente de sa voisine.
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Coutances
Souvent, les ensembles d'habitation denses sont conçus autour de rues fermées, irrigant de grands îlots dont l'usage est semi-privé. Les porches sous-immeubles ont été une des solutions couramment employées, pour créer des espaces arrières aux immeubles, à l'écart du reste de la vie urbaine.
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Coutances
On y trouve des abris de jardins, des garages pour les voitures, des accès arrières aux bâtiments d'habitation dont l'autre façade comporte généralement des commerces.
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Coutances
Dans la majeure partie des cas, les constructions nouvelles jouxtent d'anciens alignements. La partie ouest de la place principale de La-Haye-du-Puits a été épargnée par les bombardements, alors que l'autre rive de la place a été entièrement détruite.
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La-Haye-du-Puits, façades non détruites
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BÂTIMENTS D'HABITATION
3. Espaces privatifs, hiérarchie des espaces d'habitation
L'urbanisme moderne doit répondre à une nouvelle donne, relativement récente : la place de la voiture dans la ville. D'autre part, les habitants souhaitaient retrouver un cadre de vie proche de celui qu'ils avaient perdu.
Dans les petites villes normandes, la vie est encore essentiellement rurale, et les habitations en ville comportent, depuis les rues commerçantes de villes relativement peu étendues, des accès à des jardins, des cours intérieures, ainsi qu'à des chemins vers la campagne et les champs.
Les urbanistes ont à la fois en grande partie reconstitué la hiérarchie antérieure entre façades urbaines et façades privatives et d'aspect plus rural, et recréé les grands cœurs d'îlot donnant sur des jardins, ou de petites voies secondaires.
Ci-dessous, dans la partie non bombardée de Périers, à l'arrière des maisons et petits immeubles de la rue principale, on accède par des porches aux jardins et à la campagne.
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Périers
Cette hiérarchie entre avant et arrière, représentation et espaces privatifs, a été la base de l'aménagement conçu pour la reconstruction des villes. Par exemple, ci-dessous, en plein cœur de Coutances, l'arrière des immeubles commerçants du centre ville donne sur des cours privatives, accessibles entre des alignements de garages pour les voitures.
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Coutances
A Périers, l'ensemble des îlots reconstruits comporte une façade très urbaine, ordonnancée, généralement avec un commerce ou un service au rez-de-chaussée, et une façade arrière donnant sur des courettes et une rue secondaire, accessible en voiture pour le stationnement des riverains.
Ce qui est intéressant, c'est que contrairement à ce qui serait organisé aujourd'hui, ce ne sont que les pièces secondaires et de service qui donnent sur la façade arrière. On ne se préoccupe pas encore, à l'époque, de créer les lieux de vie sur le côté le moins bruyant et le moins passant.
Voici une rue secondaire à l'arrière d'immeubles d'habitation dans le centre de Périers.
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Périers
On retrouve, réalisée autrement par un autre architecte, une disposition semblable pour des maisons de ville à Montebourg.
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Montebourg
Parfois, c'est une véritable anarchie de volumes secondaires qui règne en ces façades sur cours, semblable à ce qui pouvait exister dans les quartiers anciens disparus.
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Montebourg
Mais généralement, l'espace a été dessiné, organisé, et on sent plutôt des projets d'architectes.
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Valognes
Et parfois, mais finalement relativement rarement, malgré la répétitivité de l'architecture et des morphologies, on sent se préfigurer des ambiances proches de ce que pourront être celles des grands ensembles des décennies à venir, comme ici en centre ville de Saint-Lô.
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Saint-Lo
Toutes photos au leica R5, avec 3,5:/15 mm, 2,8/24 mm, 2,8/60 mm, 2/90 mm.