Mort pour la France...
Publié : dimanche 11 novembre 2007 à 12h33
Je suis heureux de vous saluer depuis "Le Pirate" : bonjour à toutes et à tous !
Je photographie souvent dans le cimetière parisien du Père-Lachaise, dont certaines tombes sont émouvantes, notamment les sépultures militaires…
1
« Les fleurs, à cette époque de l’année, étaient déjà rares ; pourtant on en avait trouvé pour décorer tous les fusils du renfort et, la clique en tête, entre deux haies muettes de curieux, le bataillon, fleuri comme un grand cimetière, avait traversé la ville à la débandade. »
Roland Dorgelès, premier paragraphe des "Croix de bois" (1919).
2
Aujourd’hui, 11 Novembre, je vous présente la tombe de Paul Guilluy : un soldat mort pour la France à 27 ans le 11 Août 1918, que je souhaite simplement tirer de l’oubli…
3
4
Au bureau de la Conservation du cimetière, j'ai appris que cette concession a été ouverte en 1919 et que Paul Guilluy a été inhumé le 21 Octobre 1921 ; il repose avec plusieurs membres de sa famille dont les noms gravés sur la dalle sont devenus illisibles, sauf celui d’Héloïse Guilluy (1829-1892) ; la dernière inhumation a eu lieu en 1953…
5
J’ai souvent examiné cette sépulture, tournant autour en songeant au sacrifice de ce soldat…
6
Je pensais à lui en composant de nombreuses figures géométriques :
7
8
9
10
11
12
13
Paul Guilluy appartenait au 110ème régiment d'infanterie, comme l'indique le col de sa vareuse :
14
Pendant la Première Guerre mondiale, ce régiment se distingua lors de la campagne de Belgique, les batailles de Verdun et de la Somme, enfin lors de la seconde bataille de la Marne (15 au 20 Juillet 1918) ; Paul Guilluy est mort le mois suivant...
La paix enfin revenue, la dépouille du soldat fut transférée ici, et ses parents firent sculpter le buste de leur fils. A sa base, une inscription presque effacée :
PAUL GUILLUY
ENGAGÉ VOLONTAIRE
MORT POUR LA FRANCE
15
Sur la poitrine de pierre calcaire, la Croix de guerre ornée d’une palme :
16
Depuis une plaque d’albâtre, le regard du soldat scrute le ciel à jamais…
17
Sa photographie sur porcelaine, entourée d’une guirlande de bronze, est encadrée de deux décorations du même métal : la Croix de guerre ornée d’une étoile et la Médaille militaire :
18
19
Paul Guilluy a posé dans son uniforme du "110ème" ; son visage reflète la bonté et l'espérance en un avenir auquel il n’a pas eu droit.
En haut à droite de ce médaillon, on distingue une samare de frêne (graine ailée) apportée par le vent…
20
Une deuxième plaque identique dont l’inscription est devenue illisible, apposée symétriquement, comportait également un médaillon qui a disparu : elle illustrait probablement une autre victime de cette guerre, peut-être le frère de Paul Guilluy…
21
Vers le pied de la sépulture, le témoignage d’un ancien souvenir :
22
Au centre de cette couronne émaillée, une samare d’érable est venue se poser…
23
Une vie timide s’accroche sur la dalle funéraire : des mousses envahissent quelques recoins…
24
25
La tombe paraît abandonnée... Dans la jardinière subsistent quelques iris ornementaux plantés naguère (Iris germanica) ; d’autres végétaux sont venus les côtoyer : de l’orpin et un jeune plant de frêne…
Un ouvrage bien utile : l’Atlas de la Nature à Paris (Editions "Le Passage"), dont je remercie le co-auteur Olivier Escuder !
26
Article 45 du règlement des cimetières parisiens : « (…) le Maire peut organiser la procédure de reprise administrative si les conditions prévues par la loi à l’égard des sépultures abandonnées sont réunies. (…) ».
27
La concession n° 144CC-1919 de la 93ème Division de ce cimetière, où Paul Guilluy repose, risque d’être reprise un jour…
Sa vie prématurément achevée, le jeune homme s’est sans doute endormi sous une "croix de bois" près du champ de bataille, comme tant de ses camarades ; sa dépouille fut ensuite transférée ici, et enfin ses restes disparaîtront probablement dans l’ossuaire du Père-Lachaise (cette éventualité me paraît intolérable) ; à présent, son regard de pierre nous fixe intensément…
N’oublions jamais !
28
« On s’était battu en septembre dans ce pays, et, tout le long de la route, les croix au garde-à-vous s’alignaient, pour nous voir défiler.
Près d’un ruisseau, tout un cimetière était groupé ; sur chaque croix flottait un petit drapeau, de ces drapeaux d’enfant qu’on achète au bazar, et cela tout claquant donnait à ce champ de morts un air joyeux d’escadre en fête.
Sur le bord des fossés, leur file s’allongeait, croix de hasard, faites avec deux planches ou deux bâtons croisés. Parfois toute une section de morts sans nom, avec une seule croix pour les garder tous. "Soldats français tués au champ d’honneur", épelait le régiment. Autour des fermes, au milieu des champs, on en voyait partout : un régiment entier avait dû tomber là. Du haut du talus encore vert, ils nous regardaient passer, et l’on eût dit que leurs croix se penchaient, pour choisir dans nos rangs ceux qui, demain, les rejoindraient.
Pourtant, elles n’étaient pas tristes, ces premières tombes de la guerre. Rangées en jardins verdoyants, encadrées de feuillage et couronnées de lierre, elles se donnaient encore des airs de charmille pour rassurer les copains qui partaient. Puis, à l’écart, dans un champ nu, une croix noire, toute seule, avec un calot gris.
- Un Boche ! cria quelqu’un.
Et tous les nouveaux se bousculèrent pour regarder : c’était le premier qu’ils voyaient. »
Roland Dorgelès, "Les Croix de bois" (1919).
29
Jean D.
Je photographie souvent dans le cimetière parisien du Père-Lachaise, dont certaines tombes sont émouvantes, notamment les sépultures militaires…
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« Les fleurs, à cette époque de l’année, étaient déjà rares ; pourtant on en avait trouvé pour décorer tous les fusils du renfort et, la clique en tête, entre deux haies muettes de curieux, le bataillon, fleuri comme un grand cimetière, avait traversé la ville à la débandade. »
Roland Dorgelès, premier paragraphe des "Croix de bois" (1919).
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Aujourd’hui, 11 Novembre, je vous présente la tombe de Paul Guilluy : un soldat mort pour la France à 27 ans le 11 Août 1918, que je souhaite simplement tirer de l’oubli…
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Au bureau de la Conservation du cimetière, j'ai appris que cette concession a été ouverte en 1919 et que Paul Guilluy a été inhumé le 21 Octobre 1921 ; il repose avec plusieurs membres de sa famille dont les noms gravés sur la dalle sont devenus illisibles, sauf celui d’Héloïse Guilluy (1829-1892) ; la dernière inhumation a eu lieu en 1953…
5
J’ai souvent examiné cette sépulture, tournant autour en songeant au sacrifice de ce soldat…
6
Je pensais à lui en composant de nombreuses figures géométriques :
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Paul Guilluy appartenait au 110ème régiment d'infanterie, comme l'indique le col de sa vareuse :
14
Pendant la Première Guerre mondiale, ce régiment se distingua lors de la campagne de Belgique, les batailles de Verdun et de la Somme, enfin lors de la seconde bataille de la Marne (15 au 20 Juillet 1918) ; Paul Guilluy est mort le mois suivant...
La paix enfin revenue, la dépouille du soldat fut transférée ici, et ses parents firent sculpter le buste de leur fils. A sa base, une inscription presque effacée :
PAUL GUILLUY
ENGAGÉ VOLONTAIRE
MORT POUR LA FRANCE
15
Sur la poitrine de pierre calcaire, la Croix de guerre ornée d’une palme :
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Depuis une plaque d’albâtre, le regard du soldat scrute le ciel à jamais…
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Sa photographie sur porcelaine, entourée d’une guirlande de bronze, est encadrée de deux décorations du même métal : la Croix de guerre ornée d’une étoile et la Médaille militaire :
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Paul Guilluy a posé dans son uniforme du "110ème" ; son visage reflète la bonté et l'espérance en un avenir auquel il n’a pas eu droit.
En haut à droite de ce médaillon, on distingue une samare de frêne (graine ailée) apportée par le vent…
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Une deuxième plaque identique dont l’inscription est devenue illisible, apposée symétriquement, comportait également un médaillon qui a disparu : elle illustrait probablement une autre victime de cette guerre, peut-être le frère de Paul Guilluy…
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Vers le pied de la sépulture, le témoignage d’un ancien souvenir :
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Au centre de cette couronne émaillée, une samare d’érable est venue se poser…
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Une vie timide s’accroche sur la dalle funéraire : des mousses envahissent quelques recoins…
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La tombe paraît abandonnée... Dans la jardinière subsistent quelques iris ornementaux plantés naguère (Iris germanica) ; d’autres végétaux sont venus les côtoyer : de l’orpin et un jeune plant de frêne…
Un ouvrage bien utile : l’Atlas de la Nature à Paris (Editions "Le Passage"), dont je remercie le co-auteur Olivier Escuder !
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Article 45 du règlement des cimetières parisiens : « (…) le Maire peut organiser la procédure de reprise administrative si les conditions prévues par la loi à l’égard des sépultures abandonnées sont réunies. (…) ».
27
La concession n° 144CC-1919 de la 93ème Division de ce cimetière, où Paul Guilluy repose, risque d’être reprise un jour…
Sa vie prématurément achevée, le jeune homme s’est sans doute endormi sous une "croix de bois" près du champ de bataille, comme tant de ses camarades ; sa dépouille fut ensuite transférée ici, et enfin ses restes disparaîtront probablement dans l’ossuaire du Père-Lachaise (cette éventualité me paraît intolérable) ; à présent, son regard de pierre nous fixe intensément…
N’oublions jamais !
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« On s’était battu en septembre dans ce pays, et, tout le long de la route, les croix au garde-à-vous s’alignaient, pour nous voir défiler.
Près d’un ruisseau, tout un cimetière était groupé ; sur chaque croix flottait un petit drapeau, de ces drapeaux d’enfant qu’on achète au bazar, et cela tout claquant donnait à ce champ de morts un air joyeux d’escadre en fête.
Sur le bord des fossés, leur file s’allongeait, croix de hasard, faites avec deux planches ou deux bâtons croisés. Parfois toute une section de morts sans nom, avec une seule croix pour les garder tous. "Soldats français tués au champ d’honneur", épelait le régiment. Autour des fermes, au milieu des champs, on en voyait partout : un régiment entier avait dû tomber là. Du haut du talus encore vert, ils nous regardaient passer, et l’on eût dit que leurs croix se penchaient, pour choisir dans nos rangs ceux qui, demain, les rejoindraient.
Pourtant, elles n’étaient pas tristes, ces premières tombes de la guerre. Rangées en jardins verdoyants, encadrées de feuillage et couronnées de lierre, elles se donnaient encore des airs de charmille pour rassurer les copains qui partaient. Puis, à l’écart, dans un champ nu, une croix noire, toute seule, avec un calot gris.
- Un Boche ! cria quelqu’un.
Et tous les nouveaux se bousculèrent pour regarder : c’était le premier qu’ils voyaient. »
Roland Dorgelès, "Les Croix de bois" (1919).
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Jean D.