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Il y a quelque chose d'assez unique dans la communication que permet l'Internet et sur le forum du "Pirate" il se passe souvent des choses qui nourrissent la réflexion.
Ce soir j'ai envie de vous faire partager un petit moment de ma vie d'enseignant. Je donne un cours sur la technologie des microphones dans une école de cinéma et un de mes étudiants m'envoie une demande à propos d'un travail de prise de son. On apprend beaucoup au contact de ces jeunes étudiants, parfois passionnés et leurs questionnements renvoient à nos recherches, qu'elles nourrissent sans cesse. Tout ça prend du sens quand ça révèle des échos et qu'on refait, grâce à eux, des chemins de notre propre parcours. Voici un extrait d'un courrier échangé, en forme de question/réponse. "Monsieur, bonjour. J'aimerais savoir comment enregistrer un son particulier pour mon 3ème jury et je me suis dit que vous pourriez certainement m'aider. Le but serait d'enregistrer une personne qui prend sa douche. La difficulté, c'est que dans mon travail, l'auditeur doit être à la place de cette personne, qui va réfléchir et se remémorer des souvenirs tout en se lavant. Quand on prend notre douche, on entend l'eau sur notre crâne, des sons assez proches que je n'aurai pas si j'enregistre la scène à 2 mètres de la source. Peut-être pourriez vous me donner un conseil pour effectuer cette prise de son sans mettre en danger mon micro? Je dispose d'un Neumann KM84. Je vous remercie d'avance et vous souhaite une bonne soirée / journée." "Bonsoir, En réfléchissant à ta question je me dis que les perceptions se nourrissent de la diversité. Les états stables ne sont selon moi pas porteurs d'information. Les gens parlent de la pluie et du beau temps parce que le temps change. Prendre sa douche est une situation dans laquelle on reçoit diverses stimulations sensorielles. J'espère que tu pourras entendre ce que je vais développer ci-dessous, qui tente d'aller plus loin que le "problème de prise de son". Je crois qu'on peut dire que dans une douche, la vision a une place secondaire à cause du savon qui pique les yeux, et aussi parce qu'on a tendance à fermer les yeux si on reçoit des projections d'eau. Mais il peut y avoir des effets de lumière, de buée, une perception de l'extérieur à travers une vitre rendue opaque, les traces de l'eau qui ruisselle, des scintillements... L'olfaction est stimulée car l'eau agit comme un révélateur pour le nez. As-tu déjà observé qu'on "sent" autrement après avoir bu un verre d'eau (pour moi le "Spa Reine" joue un rôle de révélateur très efficace).? Les savons qu'on utilise sous la douche sont très "bavards", probablement parce que les huiles essentielles sont pulvérisées, transportées par l'effet de l'eau, comme dans les aérosols. Je crois que l'olfaction se taille une grande partie de la "communication" d'une douche. Et elle produit une partie du plaisir et des bienfaits de la douche, si on s'écarte un peu du thème de l'hygiène, qui est bien sûr très évident. A ce propos, il y a aussi une perception de l'odeur corporelle, qui peut apparaître au moment où on se retrouve nu dans un espace réduit. En effet, ôter ses vêtements et passer dans un autre lieu, plus confiné et avec la verticalité, réveille l'olfaction par le contraste. Le nez est situé vers le haut et la tiédeur produit un mouvement de convection. Disons que c'est ce qui pré-existe à l'exercice de la douche. C'est un peu comme comme le dégustateur qui réchauffe légèrement son verre de cognac, en faisant tournoyer le liquide dans le verre. Il porte ensuite le verre sous le nez et mesure les arômes par des mouvements d'approche et d'éloignement. Dans la douche, on est bien sûr très loin de la "dégustation": l'idée est plutôt de se débarrasser de cette odeur corporelle et la notion de propreté qui est recherchée consiste dans ce changement d'état olfactif qui inspire l'état de propreté: on sort de la douche et on "sent bon". Mais c'est surtout parce qu'on a mesuré comment on était "avant" qu'on peut être "après", qui fait l'effet du parfum. Il y a ensuite le toucher. Ce sens est celui qui définit les limites du corps. Il n'existe que par le mouvement (la perception sonore ne se développe que dans le temps, elle n'existe que grâce à la mémoire). On reçoit les gouttes d'eau en jets plus ou moins intenses, et je crois que personne ne reste immobile dans la douche car après un moment la pression de l'eau exercée sur une même surface de peau devient désagréable. Il y a un plaisir à modifier le lieu où s'effectue le "massage". On n'aura d'ailleurs l'impression d'être "propre" que si on a exposé toute la surface de peau aux jets de la douche, ou si on a bien réparti le savon avec les mains ou avec un gant et ensuite rincé et tout ça en repassant partout où le savon s'est infiltré. Toute cette dissertation peut te paraître bizarre mais je fais la synthèse de ce que la pratique de mon métier de "preneur de sons" m'a enseignée, au delà des aspects techniques qui s'apprennent à l'école ou dans les livres (et qui évoluent avec les technologies), ce qui relativise ce genre de "savoir". Ton projet étant de raconter une histoire par les sons, il est important que tu saches que évocation sonore ne sera jamais que partielle, et assez éloignée de la réalité "vécue", qui est, elle, multi-sensorielle. Je crois que ton évocation ne sera réussie que si tu construis ton histoire à travers ce que tu vis, et si tu mesures bien les limites du support de ton expression, ça parlera certainement. Je n'ai pas d'autre recette que celle-là. Bien sûr, il y a les aspects pratiques. Les microphones n'aiment pas l'eau et l'humidité et ton Neumann km84 risque de souffrir de la vapeur. Protégé par une bonnette comme celle qu'on utilise contre le vent lui permettra de résister un peu plus longtemps si tu le positionnes au dessus du pommeau de douche, mais il ne doit pas recevoir d'éclaboussures et il faut limiter le temps d'exposition. Selon moi il faut capter des suites de mouvements, varier les perspectives, et construire un scénario qui laisse une place à ces sensations visuelles, tactiles, olfactives qui en dehors de la sphère sonore, mais qui doivent trouver un écho sonore. Je te souhaite du succès dans cette recherche passionnante." Je serais content de connaître votre point de vue à propos de cette façon d'aborder une réalité, en vue de la traduire dans un mode "restreint", comme le son, mais qui pourrait aussi bien être une problématique photographique.  |
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Je suis en d'autres lieux, et ne disserterai donc pas pour l'instant.
Je renverrai ton étudiant au mythe platonicien de la caverne : connaître plus ou moins partiellement la réalité, et la transmettre. C'est en effet aussi la problématique du photographe. |
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Merci Laurent, je ne connaissais pas cette histoire philosophique qui éclaire très bien ce que je sentais et qui me permet de mieux situer cette conversation avec l'étudiant.
Je pars au travail (on pourrait dire au pays où tout n'est qu'ombres et reflets) pour capter quelques sons. Je reviendrai ici plus tard. Bonne journée au pirates! |
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