Ile de Ré, décembre 1965,
Le vent venait du nord. Froid en rafales, il balayait les dernières feuilles oubliées par les services municipaux. La chaussée devenue glissante par le crachin du matin, l'hiver s'installait. La main glacée, ne pouvant supporter plus longtemps le métal argenté de son Leica, les yeux comme brouillés par le noroît, trempait Paul dans une demi cécité. Il prit donc la résolution de rentrer au chaud.
Les rares promeneurs engaillardis, encuirassés, enrubannés d'écharpes multicolores, laissant quelques bouffées blanches s'échapper de leur silhouette. Pourtant le pas vif, il s'arrêta net au point de trébucher. Paul POULARD venait d'être intercepté par le soleil.
Paul venait juste d'avoir vingt ans cet automne et terminait ses études de photographie à Lausanne. Seul enfant d'une famille de commerçants, il ne travaillait que le nécessaire à l'école. Il rêvait à des choses ô combien plus enrichissantes et réjouissantes que les racines carrées, affluants de la Loire ou de préhistoire... C'était douillet de ne rien faire, de se laisser vivre. Le sport ne l'attirait pas non plus, sauf à la télévision. Ces images venues d'ailleurs, troublèrent son enfance. En 1959, le petit écran était un objet superflu et rare. Ce format le conditionna. Cependant, n'étant pas emballé par ce défilement, quasi impossible de figer la mémoire. Pour immortaliser cet instant, il photographiait. De sa chaise d'école, le regard fixant un nuage, un oiseau puis le marronnier, il mettait tout en rectangulaire. Il voulait rester sur place. Ne pas aller plus loin et redémarrer en donnant lui-même le top. La photo rattrapait son manque, l'envie folle d'arrêter le temps.
Le soleil, Paul l'a. Devant lui. Ses rayons venaient de le transpercer. Ils jaillissaient d'une capuche. Il se remit en route, pressant même le pas. La froidure ne lui importait plus. Traversant la rue, se trouvant à sa hauteur, attiré, subjugué et entraîné par des yeux sublimes. Il ne put lui parler. Pas aujourd'hui. Demain. Oui demain. Maintenant, il sait ou elle habite. Il va la photographier. Comment, bonne question !
A suivre...
La suite:
Enfant, la timidité l'imprégnait. Avec les filles, rouge il devenait. Pas facile pour draguer. Alors, les photographier!
Tout au long de ces années d'études, l'objectif le tranquillisa.
Une sorte de masque avec un oeil.
Un seul. C'est plus facile, c'est comme si on en fermait un. Comme si on était pas vu. Comme si on était là sans être là. Et pourtant. Avec les deux yeux, on voit trop de choses, trop d'éléments à loger dans ce petit cadre; c'est impossible. Avec un, le droit en général, on reste sur, on délimite ce que l'on veut cerner, avec la précision de l'horloger à remettre les vis dans le carré d'une montre. Pas si simple le premier portrait. On a beau à voir d'un seul oeil, il fixe le modèle et vous vous sentez nu. Il entre dans votre intérieur, dans votre être, une relation intime s'opère. Une sorte de relation amoureuse. Par le fait de cette pénétration, accord parfait, la photo sera bonne.
A suivre...
Suite 3,
Portail bleu indigo, couleur de l'Ile, rue Félix Faure, la nuit était là. Se faufilant dans la première venelle. L'a-t-elle vu ? A demain. Glacé mais heureux, il rentra, dîna et s'endormit.
Ses parents l'emmenait à Ré depuis une éternité? Campings, de la pointe des Sablanceaux à la pointe de Chauveau, ils en avaient perdu des piquets sardines, tordu des mats, coupé des ficelles. Chaque année, son père préférait un autre terrain. Celui-là sera mieux, vous verrez, répétait-il. Pour lui, la qualité dépendait des toilettes. Il visitait donc en premier ses communs. Ça va, nous pouvons monter, criait-il. Juché sur le marche-pied de l'Aronde, le petit Paul délaçait la toile de bâche jaune qui recouvrait les valises avachies par le temps. Les sacs bleus délavés enveloppant la canadienne, perdraient encore de leur couleur, abandonnés sur la sable, comme dégonflés de leur contenu. D'un squelette d'alu, le campement prenait forme. Un croûton de pain dans une main, dix carrés de chocolat, Paul contemplait l'évolution, préférant cet en-cas à la certitude de s'entendre dire, tu gênes... Evidemment, ceux qui n'ont jamais goûté au camping en famille...
Paul se réveilla. Dix heures! Dormi aussi longtemps! Douche, mousse à raser, rasoir et dentifrice. Pain beurre salé, confiture et thé, habillé, son inséparable Leica à l'épaule, Paul était sur pied. Dans quel sens faut il prendre la rue? Faut il se faire voir? La suivre ? Non, elle va avoir peur. Il avance, il verra bien. Un chat blanc lui coupa la marche, il faillit trébucher. Le coeur serré, la maison de la jeune fille paraissait inhabitée. Les volets du haut fermés, l'herbe haute, pots de fleurs renversés, une pancarte couinant mal accrochée, portant la mention - A vendre - avec le nom d'une agence de La Rochelle. Pourtant, ce bleu indigo, présent sur la moindre latte, d'une récente application, comme sans doute pour justifier un prix astronomique, donnait un air de fraîcheur à la bâtisse . Un des rideaux de la pièce du bas, sans doute la cuisine, confirmait une occupation possible. Paul saisi son Leica et fit semblant de photographier. Le cadrage n'avait aucune importance. Il fallait créer diversion. Il se prenait pour un acheteur allemand fortuné à la recherche d'un nid, cette langue, pas son fort, un client anglais, non plus.
A suivre demain...
Merci pour ce joli texte dont le style s'affirme peu à peu. On pourrait penser que le portrait de "Paul" s'inscrit dans une démarche quasi psychanalytique Le Leica serait-il donc (parfois) utilisé comme un substitut phallique? Mais alors que penser de son utilisation par cette composante de l'humanité équipée de ce qui fait défaut à "Paul" et semble le mouvoir dans une quête sublimée vers cette belle ile de Ré?
Édité 1 fois par Solange vendredi 25 juin 2010 à 12h32
Je n'en doute pas, Michel
C'est un truc que j'ai écris il y a un certain nombre d'années, comme pour exorciser le sort et merci à l'initiateur du fil, je m'en suis souvenu que j'avais ce truc en stock, entre autre. Malheureusement, je ne l'ai jamais terminé, ce sera bien de trouver une chute avant que ça se casse la g....e ou moi la mienne
La suite,
Je vous vois venir, une réédition pensez-vous ? Et bien non ! N'oubliant surtout pas le coup d'oeil de côté, recherchant le meilleurs angle de prise de vue? Fallait justifier la moindre opération !
Elle était là. Elle se tenait dans l'entrebâillement de la porte d'entrée. Un sourire d'enfant, un pull de grosse laine blanche, jean, en chaussettes, immobile.
Immobile, Paul aussi l'était, les deux pieds dans une flaque, muet.
" Vous venez pour l'annonce ? " lança-t-elle.
Rabaissant son Leica, faut croire qu'il ne le cachait pas assez ! Difficile de trouver une phrase de douze pieds, comme ça !
Paul s'était déjà trouvé dans ce genre de situation dans laquelle l'interrogeant conditionne la réponse.
La photographie amène un semblable catalogue. En studio, une mise en scène possible dictée par une commande, le souhait d'un travail imposé, personnages, objets, se placent et détermine la demande. Tout le contraire de la photo sur le vif. L'instant décisif de Cartier-Bresson, la réponse se doit d'être vive, avant n'est pas, après n'est plus. Comme le couperet. Clac. La bonne prise.
Paul Poulard avait eu une vue sur une fille. Elle habitait dans sa ville natale, La Roche sur Yon. Il l'avait connu au basket, un jeudi, lui offrant, écarlate, boutonneux, des carambars. Elle l'avait embrassé une fois. Pas exactement sur la bouche, coin des lèvres, sûrement par erreur. Puis vint l'appel sous les drapeaux. Il lui écrivit souvent, deux lettres par semaine, d'amour, des pages et des pages. Il n'en reçu aucune ! Mais, tant pis, récidivait encore et encore. Quinze mois après, le sens du devoir accompli, la joie de revoir sa Thérèse l'oppressait.
Thérèse Jafiol était l'unique fille du boulanger de la place Napoléon. Une belle fille à la crinière rousse bouclée, bien en chair. Un peu grassouillette, juste bien. Mais Thérèse avait préféré de grand gaillard de Pierre Vulsin, le demi de mêlée du Fc rugby club yonnais, copain de photo club de Paul, justement.
Il lui arrivait de penser à elle, comme par hasard, à cet instant.
A suivre
Paul avait eu une vue sur une fille. Elle habitait dans sa ville natale, La Roche sur Yon. Il l’avait connu au basket, le jeudi, lui offrant, écarlate et boutonneux, des carambars. Il avait du l’embrasser, une fois. Pas exactement sur la bouche, au coin des lèvres, comme par erreur. Puis vint l’appel sous les drapeaux. Alors, il lui écrivit souvent, deux lettres par semaines. D’amour, de page en page. Il n’en reçu aucune. Tant pis, il récidivait encore et encore. Quinze mois après, le sens du devoir accompli, la joie de revoir sa Thérèse l’oppressait.
Thérèse Jafiol était l’unique fille du boulanger de la Place Napoléon. Une belle fille à la crinière rousse bouclée, un peu grassouillette, juste bien. Elle avait choisit ce grand gaillard de Pierre Vulcin, le demi de mêlée du Rugby Club Yonnais, copain de photo-club de Paul. Il lui arrivait de penser à elle, comme par hasard à cet instant.
“rentrez visiter, si vous le désirer” dit le soleil. Paul poussa le portillon, fit quelques pas, serra la main tendue de la jeune fille qu’il garda dans la sienne un long moment, une éternité. Des cheveux noirs ébènes, mèches fines encerclant un large front, des sourcils épais soulignant des yeux vifs et noirs, souriants; la bouche épaisse, des lèvres rouges carmins, la chaleur électrique de sa main. Il balbutia : “ bonjour, je suis Paul Poulard”. En retirant la main, la jeune fille dit: “rentrez, Monsieur Poulard, je m’appelle Rose Bien, mon père est au bureau, il devrait être là vers midi. J’étais à faire du café, en prendrez-vous avec moi?” Paul aurait du mal à refuser, il attendait cet instant. Moment difficile. Il sentit les joues frémir, le coeur battre plus vite qu’à l’habitude, entre l’envie de partager cette rencontre et celle de rebrousser chemin. Paul Poulard pénétra dans le vestibule, tommettes rougeâtres entourant l’escalier de bois ciré, pommeau de rampe sculpté en verre jaunie, Rose était déjà dans la cuisine et l’invita à la rejoindre. L’odeur du café emplissait la pièce, les rayons du soleil matinal, renvoyés par le sol dallé de carreaux jaunes et blancs, majestuaient Rose. De dos, sur la pointe de ses chaussettes blanches afin d’attraper deux tasses chinoises posées sur l’étagère du placard, le galbe de ses fesses, comme renforcé par le dessin oblique des poches arrières de son jean, attirait le regard de Paul qui s’arrêta sur une légère déchirure du tissu, juste en dessous, comme fait exprès et laissant entrevoir sa peau blanchâtre et lisse. De ses longues et fines mains terminées par des ongles rouges vernis, elle posa délicatement les deux tasses sur leurs coupelles, souleva d’un geste habituel la nappe de toile cirée jaune, tira le tiroir et en sortit les cuillères. Tirant la chaise paillée placée devant elle, et indiqua au jeune visiteur, par un signe de la tête, de prendre place. “Alors, comme ça vous êtes la recherche d’une maison” lança-t-elle, afin de briser l’atmosphère subjectif qui s’installait. Paul, toujours à demi subjugué par la beauté sauvage de la jeune fille, semblait éprouver du mal à retrouver ses moyens. Il rétorqua, après quelques secondes: “ j’y ai passé toutes les vacances avec mes parents et j’aimerais continuer. Etant natif de la Roche sur Yon, alors, ce n’est pas loin. Je suis photographe. Enfin presque, je termine mes études l’année prochaine. Euh, la maison, c’est pour mes parents. Je cherche pour eux, bien évidemment.” se rattrapa -t-il. La conversation continua, au fil de phrases polies, juste assez pour entretenir et attendre l’arrivée du papa. “ Le voilà “ cria-t-elle. Comme heureuse d’être libérée. La voiture, une BMW noire s’arrêta devant la clôture. La portière claqua. Le portail, le loqueteau de la porte d’entrée, toute cette ligne de bruit résonna dans la tête du jeune homme. “Papa, je te présente Paul, Paul Poulard.” “Bonjour, jeune homme” dit le père de Rose d’une voix railleuse. Paul était dans ses petits souliers. L’homme l’impressionnait, les épaules larges, le bassin étroit, de courtes jambes, cou de taureau, lui rappelaient son ancien copain, devenu le mari de Thérèse. La force mêlée d’agilité des ces gaillards, le maillot déchiré, la manie de se vautrer dans la moindre flaque, les oreilles comme grignotées, le nez torsadé, Paul était transporté quatre années en arrière. Son rôle à Paul, se bornait à la préparation des sacs d’équipements, les ballons, sans oublier l’indispensable valise à pharmacie. Surtout, après chaque match, renouveler pansements, élasto et albuplasts, coton et pommade au camphre. Aller le dimanche matin, aux vestiaires du stade, lors des déplacements, récupérer tout de matériel indispensable à la confrontation dominicale, l’engloutir tant bien que mal dans le coffre de la Renault 4. Des parties délirantes, des défaites, des victoires, la buée de la douche, les maillots trempés et la troisième mi-temps. Le vin chaud de la buvette, tout lui revenait en pleine figure, comme un tableau dressé là devant lui.
“Bonjour, Monsieur Bienvenue” répondit Paul. Ajoutant” je me promenais à la Flotte, lorsque j’aperçu la pancarte “ à vendre”. Votre charmante fille m’a invité à rentrer, et voilà, nous prenions le café, en vous attendant” “Resté assis” insista le père de Rose. Tout en se redressant, malgré le souhait de cet homme trapu, il fallait bien que Paul précise davantage l’objet de sa visite. “Mes parents, boulanger à La Roche sur Yon, recherche une résidence pour les vacances. Nous venons dans votre Ile depuis ma tendre enfance et je suis là en reconnaissance. Je repart la semaine prochaine et souhaiterais visiter votre maison” “Quand vous voudrez, mais pas maintenant, je dois partir aussitôt le déjeuner, j’ai un rendez-vous important à La Rochelle. Ce soir. Dix huit heures”. La réponse étant des plus catégorique, Paul devait se ranger à l’idée de revenir. Il en était satisfait. Prit congé, sans finir sa tasse, en saluant comme il se doit, le papa et sa fille.
Paul déjeuna d’une salade, sur le port, et ne put d’empêcher de pousser le pas jusqu’à la maison de Rose. Attiré par ce sourire, il ne tenait pas en place et après un café servi maladroitement par une serveuse mollasse, il se rendit rue Félix Faure. La jeune fille semblait l’attendre. Paul n’aurait jamais rêvé d’une telle situation. Il l’aperçu à la fenêtre de l’étage, disparu pour réapparaître, la porte ouverte de l’entrée. Rose, émue, souriait de toute sa grâce. Paul n’en croyais pas ses yeux. Il s’approcha et ils disparaissaient à l’intérieur, la main dans la main. Debout, Rose, plus haute de quelques marches, tenait toujours la main de Paul. Fébrile, il appréhendait. Les yeux brillants de la jeune fille eurent raison du jeune homme. Elle l’entraîna, grimpant l’escalier, se retournant comme pour hypnotiser sa proie. Le bois ciré craquant sous les pieds, la chambre les attendait, le lit avançait, le coeur de Paul allait sortir de sa chemise. Ils tombaient d’amour. Paul sentit le corps chaud de Rose. Les lèvres se retrouvèrent, les baisers d’une fréquence inouïe accéléraient le désir. Les vêtements tombèrent, le lit grinça. Nu, le geste calme, Paul caressait le corps de Rose, il n’avait jamais tenu une femme dans ses bras. Les doigts hésitants, écartés, dessinant le mollet, contournant le genou, glissant doucement le long de la cuisse de Rose, faisant demi-tour, comme s’il s’était trompé de chemin, puis remonta. L’entourage velu du sexe de la jeune fille, lui chatouillait la paume. Rose tressaillit, se cambra brusquement. Laissant glisser sa main tendue entre les lèvres, cette poitrine s’offrant, mamelons dressés, il la pénétra et là ils partirent dans un monde inconnu. Ils furent vite rappeler à la réalité du temps, la comtoise du salon sonna cinq coup. Ils s’étaient aimés toute l’après-midi, n’avaient pas vu la lumière baisser, il fallait de toute urgence retrouver vêtements, slip dentelle, pantalon, soutien-gorge, chaussettes, gisants entremêlés. Le père allait arriver, la porte de la voiture claquer, le loqueteau. Non. Paul ne savait plus. Il s’enfuit.
Paul était bien, quand même un peu coupable. La rapidité à posséder une femme, pour une première expérience!
Sur le pont, Paul quittait Ré, son séjour écourté, il ne pouvait plus se retrouver en face du papa de Rose. Paul avait laissé un mot d’adieu et d’excuses dans la boite aux lettres de Rose.
A suivre...
Chapitre II NANTES décembre 1967, Paul Poulard aimait bien cette bonne ville de Nantes. A distance raisonnable de ses parents, sa maman ne venait qu’une fois par mois lui rendre visite, en réalité pour vérifier la propreté de l’appartement. Son papa accompagnait, mais venait surtout pour assister aux rencontres du FC Nantes à Marcel Saupin. Paul jouissait d’une paix relative indispensable à ses vingt deux ans. Paul avait déniché ce petit deux-pièces, dont l’étroite entrée, généralement encombrée par deux ou trois Solex, ouvrait sur les magasins Decré. Paul pouvait redevenir enfant, le temps des décors de Noël, dont les vitrines animées de personnages plus vrais que nature, colorées et scintillantes, le retenaient chaque jour. L’odeur des marrons grillés, la large cuillère en bois dans les jattes en cuivre, les vendeurs vociférant aux quelques passants pressés et matinaux, les guirlandes jaunes inondant l’ambiance de ces rues de fêtes. Le Cours des Cinquante Otages s’ouvrait transversalement à Paul, qu’il franchit à pas de géant, le ciel éclaircit par cette large travée. Rue d’Orléans, Paul aimait admirer les bijoux et plus encore, les montres. Il avait toujours été frappé par l’anarchie de l’heure affichée, chez les horlogers. Il avait renoncé à ajuster la sienne, les cloches de l’église Saint-Nicolas rappelait à tout le monde qu’il était neuf heures. Paul se rendait pour la première fois au Central Hôtel. La sacoche pesait et lui sanglait l’épaule. La veille, il avait toiletté ses appareils, usant de la soufflette chassant la moindre poussière, tournant la bague de diaphragme de chaque objectif, cliquetant le miroir des ses Nikon, pour enfin les charger de pellicule. Paul avait mal dormi. Le grand jour, aujourd’hui, Paul Poulard allait pousser cette porte tambour de l’Hôtel, les chasseurs, affublés de leur gilet vert toque verte et bordeaux, saluant notre photographe de mode. “Bonjour, je m’appelle Paul Poulard, voulez-vous m’indiquer le salon où va se dérouler le défilé de mode de ce soir, j’aimerais la voir afin de prendre mes repères et effectuer quelques mesures de lumière ?” Un des chasseurs l’accompagna, le précédant à pas feutrés, l’épaisse moquette à carreaux rouges et verts, les larges fauteuils clubs en cuir fauves, les miroirs du bar, Paul se croyait dans un autre monde. Deux jeunes et jolies femmes bavardaient devant une tasse de thé, sans le moindre regard sur le jeune photographe, sans doute des mannequins. Le repérage effectué fut bref. Les jeunes filles étaient parties. Le soleil timide de décembre tentait une percée, le centre ville grouillait déjà. Noël était dans quelques jours. Quelques heures devant lui, Paul choisit de monter la rue “ Creb. “ pour aller prendre un café au Français, lieu de retrouvailles des typographes, aux fausses manches blanches mais tachées d’encre d’imprimerie. Les journalistes éteints, repus d’articles, tout ce monde des nouvelles, de bonnes et de mauvaises, attablés jambons beurre à moitié avalés, demis, cafés et ballons de rouge, sempiternels fillette de muscadet ou de gros-plant. Paul aimait se ressourcer dans ce bistrot. Il se rappelait les images de Doisneau, l’oeil du bougnat jalousant les mariés trinquant à leur bonheur, troquet sans noce, instants de vie, de vie ordinaire, la vie de tous les jours. Paul voyait dans ces figures fatiguées, mal rasées, le répertoire de Doisneau, jardins de Ronis et Boubat. Paul aurait bien aimé être de leur époque. D’un autre côté, il était leur élève et était fier de l’héritage. Ivre de bruit et de fumée de cigarettes, Paul se leva et pris le chemin du passage Pommeraye. Il aimait escalader les escaliers du passage. Il avait un besoin d’aise, cet endroit particulier oxygénait son esprit, dégourdissait ses jambes par ses marches de bois usées, lignes marquées par les balcons de fer jaunis, les verrières ouvrant vers le ciel de Nantes. Les boutiques avaient gardé leurs vieux livres, cet air de musée conservait au passage toute son authenticité, rien ne semblait avoir bougé. Autre raison de ces escaliers, Paul pouvait entrevoir les jambes des filles, ce ballet l’excitait en lui étant agréable par le crépitement des talons aiguilles et raisonnant sous les voûtes. Paul restait des heures accoudé au balcon du côté de la galerie de peinture. Ce défilé constant avait quelque chose de militaire. Paul avait tout le temps, Leica à l’oeil, refaisant les mêmes prises de vues, en bas, du haut. La lumière perçant les verrières rendaient l’usage de la photographie, idéale. Paul gaspillait la journée, se sentant léger, prêt à affronter la soirée. Il allait pouvoir mettre enfin sa passion à profit. Bien lui avait pris, de tenir tête à ses parents. A suivre, si vous le voulez bien, merci de votre attention
...La rapidité à posséder une femme, pour une première expérience! ...
D'après ce que l'on commence à savoir de la vie de Paul, de sa psychologie, de cet appareil photo qui semble agir un peu comme un prétexte et un moyen à communiquer avec le monde, on peut se demander qui de Paul ou de Rose a "possédé" (i.e "pris") l'autre?
Mais on ne saurait, bien sûr, perturber le vécu de Paul et l'important, après tout n'est-il pas ce que chacun garde au creux de sa mémoire? Cependant, j'imagine assez bien Rose avec comme l'ombre d'un sourire amusé...
La suite,
Paul eut son premier appareil photographique, un Starlet Kodak, c’était à Noël 1959. Il se rappelle même du modèle, un espèce de cube noir et argent, se chargeant en pellicule 127, protégé d’un sac en cuir de pleine fleur marron, sa grand-mère insistante auprès des parents, elle avait influencé le choix du cadeau. Enfin ! Paul venait d’obtenir sa récompense, oh pas pour ses performances scolaires, mais par sa volonté d’arriver à ses fins. Mémé le soutenait. Le père de Paul, Ernest, reprochait chaque intervention de la vieille dame pour le petit. Ensemble, il faisait une belle paire. Le premier cliché de Paul eut comme sujet, sa grand-mère, Augustine. Qu’est-il devenu? L’avait-elle caché ou détruit? Elle détestait son image. Les rides trop marquées, le visage brûlé par tant d’années au soleil et au vent de l’océan. Redoutant le mort, elle voulait pourtant conserver en elle l’identité d’une femme travailleuse, indépendante, femme de la terre et de la mer. Elle l’avait caressé cette terre, retourné, labouré. Elle aimait ce contact avec les éléments. Elle en avait fait sa vie, sans le choix, mais adorait son herbe, ses prés, ses vaches pleines de lait. Il fallait la voir, manches de sa blouse noire mouchetée de gris retroussées, la crème, le beurre, ses grosses mains courtes à pétrir devenaient subtiles et précises. Les fleurs de la motte de beurre salé, habillé de papier glacé. Régal, couvrant généreusement les épaisses tranches de pain grillé dans le four de la cuisinière à charbon. La lame usée du couteau, manche en fausse corne, attaquait la demi-livre, le morceau s’évanouissant à l’intérieur de la tartine encore brûlante. Paul attendait cinq heures, avec l’impatience d’un élève peu assidu à l’école. Moment inéluctable et inoubliable de cette enfance grand-maternée. L’eau très chaude de la douche eut raison de la quiétude de Paul. Le moment de se ressaisir, de sortir de ce milieu protégé. Rêvassant, il sortait de cette enfance. Ce soir il sera seul. Le seul à appuyer sur le déclencheur, seul à décider l’instant. Son avenir commençait. la foule s’était déjà appropriée le hall de l’hôtel. Le tout Nantes était là. Colliers des belles dames en fourrure, volutes des havanes des messieurs endimanchés, le décor planté. Paul eut du mal à se faufiler, prenant de l’envergure avec sa besace ventrue d’appareils. Paul finit par atterrir devant la porte de la grande salle du rez-de-chaussée, un chasseur ganté de blanc lui ouvrit, les collègues photographes affûtaient leurs appareils, l’un deux était même grimpé sur un escabeau. Paul, au plus près du podium, les couples objectif-boîtier, les distances pré-réglées, il ne lui restait qu’à fixer les flashes et attendre. Le contenu du hall, se déversait en vagues successives, prenant tour à tour possession des dorées à fond de satin rouge. La musique assourdissante eut raison des retardataires, les pans de velours du rideau ouverts, les spots inondèrent l’estrade, le premier mannequin apparut, démarche chaloupée, salsa. L’allégresse de cette jeune fille faillit faire oublier à Paul de viser, il était heureux, déclenchant de tout feu, de boîtier en boîtier, téléobjectif, grand angle avant que le modèle ne fasse demi-tour, jambe droite en avant et hop la voilà de dos. Le coude à coude des photographes, des rapports de force s’engageaient. Le meilleur angle, ça poussait dur. Un hard-rock poussant la salsa, les mannequins se succédèrent, les pellicules embrayaient, la salle applaudissait, Paul flottait dans cette ambiance, comme embarqué sur le grand chenille de la Foire de Nantes, à la mi-carême. L’entracte, petits fours, champagne, la soirée battait son plein. Paul, comme ses comparses, tentaient de trier leur matériel fatigué et de les recharger pour la suite du défilé. Paul gardait le rythme, mannequin après mannequin, de robe en tailleur, comme des nuages jour de grand vent, la soirée se terminait, les coulisses, félicitations et embrassades, Paul attendrait pour sortir. Il restait du champagne, Paul proposa une flûte à sa voisine repue, renvoyant d’un geste brusque et précis sa chevelure abondante en arrière, comme lasse de toute cette comédie. Ils ne s’entendaient parler, l’affluence au buffet, elle lui prit le bras et le traînait vers la sortie. Paul, saoul de bruit plus que de champagne, il en perdit la demoiselle. Son deux-pièce le ramenait à la raison et tomba de sommeil sur le lit, tout habillé. Au labo de la rue des rosiers, Paul visionnait ses négatifs. La fièvre du baptême du feu envolée, le constat étalé sur la table lumineuse. Les dias, exposées comme à son habitude offraient elles un intérêt particulier? Monsieur le Directeur de l’agence, Monsieur Dimitri, fronçait les sourcils, la bouche entrebaillée, blanchi par les lampes fluos de la table, scrutant une à une les trois cent cinquante deux clichés de Paul, se relevant en fréquence régulières pour épargner son dos, se grattant la nuque, il recollait au compte-fils. Cette maneuvre dura des heures, sans mot dire, tout au plus quelques raclements de gorge, dus sûrement à sa légendaire mauvaise humeur. Monsieur Dimitri était arrivé à Nantes en 1959. Grand reporter pour Paris-Match, il avait couvert l’Algérie entre-autre. Période noire, il portait même une marque de l’histoire. A l’épaule, suite d’une blessure difficile à soigner, l’obligeant d’arrêter sa carrière de photographe. Il créa alors sa propre agence de presse l’année suivante, engloutissant le peu d’économie qu’il avait à la Caisse d’Epargne ainsi que le bas de laine de Georgette, sa compagne. Georgette, la cinquantaine bien faite, encore très élégante dans ses tailleurs gris, ses larges et gros colliers de perles noires, elle était la voix rauque du téléphone, celle qui prenait les rendez-vous des pigistes, elle était aussi la grâce de maison. Elle les appelait “ mes chéris”. Paul avait été adopté d’emblée par cette famille, protégée de Georgette. Il en était même devenu le petit chéri, celui à qui on pardonnait ses retards. Paul était le chouchou de Georgette. Face à René, René Dimitri, tout ce petit monde filait doux. “Ah quand même une de potable, enfin faudra voir ça sous l’agrandisseur”, s’exclamait René. Paul, sans rien dire, le prenait comme un compliment, car le monsieur était avare de compliment, mais le coup d’oeil de Georgette le rassurait. Le plus sage était donc le patience, allait-il en voir surgir une seconde, au plus une troisième. Il ne fallait surtout pas l’interrompre dans sa recherche. “ Gamin, je pense qu’on va s’entendre, on devrait, avec du métier, réussir à en vendre deux ou trois, lâchait Monsieur Dimitri. “T’as encore du chemin, mon p’tit Paul” rajouta-il. Il avait dit “ petit Paul “. Georgette et les autres pigistes se regardèrent, ébahis, jamais le patron employait ce genre de langage familier.
Paul eut son premier appareil photographique, un Starlet Kodak, c’était à Noël 1959. ...
Après quelques recherches approfondies qui nous ont emmené sur l'ile de Ré, notre équipe a pu, grâce au témoignage spontané d'une certaine Rose qui vit sur l'ile depuis plusieurs décennies, mettre la main sur un élément essentiel pour la bonne compréhension de l' "Histoire de Paul":
Nous attendons maintenant un lot de films en provenance d'Allemagne qui va sans doute nous permettre de comprendre l'étrange destinée de Paul.
T'es géniale, Solange
C'est exactement celui-là Depuis le temps Je le cherchais partout
On trouve toujours de la 127. Malheureusement, autant que je me souvienne la dernière fois que je l'ai tenu dans les mains, il était bloqué
La suite de l'écrit sera pour la fin de semaine, j'ai été un peu bousculé ces derniers jours, l'Open de France ce week-end dernier, une journée de plage à la Faute-sur-mer ( tristement révélé par la tempête Xinthia ) et une journée à Noirmoutier
C'était, comme pour beaucoup je présume, mon premier appareil. Je l'avais récupéré dans ma famille où il se morfondait sur quelque étagère depuis plusieurs années N'ayant aucune chance de le retrouver, je viens d'en acheter un sur Ebay et je l'ai reçu aujourd'hui. Bonne surprise, il est "comme neuf" avec son sac en cuir et sa courroie. J'ai aussi commandé quelques films 127 chez Macco que j'attends pour demain et je suis bien curieuse de voir le résultat!
Il y a une seule vitesse (1/40) avec deux ouvertures: f11, f16. La focale est un "équivalent 50"
C'est mon premier appareil, la qualité est à la hauteur de sa valeur C'est rigolo et pour le prix que tu as du te le procurer, tu ne prends pas de risque On attend le résultat
Bonjour et merci de me lire ces quelques lignes, malgré la chaleur et le Tour de France
Chapitre III
Paris, avril 1968,
Le métro bouillonnait, il était dix huit heures. Chaude après-midi de printemps.
Les odeurs de graisse des rails, lui donnaient la nausée. Le tintement du signal d’ouverture
des portes, le claquement des fermetures, le ronronnement sourd des roues, les corps mêlés,
mains moites glissant le long des mats, cabats et sacs publicitaires, valises et sacs à dos,
comme il était compliqué d’avancer rejoindre un siège. Paul se cala et tant mieux, il avait six stations,
comme lui semblait indiquer les petits plans au-dessus des portes. Le blanc des yeux de
cette enfant de couleur, assise face à lui, l’attirait. De ravissantes et courtes couettes enrubannées de
lanière de velours rouge, corsage blanc brodé de dessins africains, il manquait juste un bouton
sur deux, jupe écossaise jaune et noire, chaussettes blanches blanches à pompon, sandalettes
blanches brillantes, l’avait arraché au contrôleur. Paul extirpa son Leica de son sac coincé
par son voisin de droite et demanda, d’un sourire interrogatoire et persistant, la permission à la
maman. Paul affectionnait ses instants privilégiés et imprévus, l’instinct et la coïncidence.
Le métro, indispensable aux millions de parisiens ou banlieusards, apportent sur un plateau,
des situations, personnages sur lesquels il est bon d’en faire lecture. Ces sujets, vivent leur vie,
après la prise, s’envolaient tel un canari. La cage, une fois ouverte, la liberté, Paul essayait d’imaginer
la suite de l’histoire, une fois l’image redémarrée, encore figée dans sa mémoire photographique.
Paul gardait de cette relation les quelques millièmes de secondes, conjointes et parallèles.
Il aimerait s’imprégner davantage, connaître l’histoire, le vécu, les désirs, mélanger ces rencontres.
Changeraient ils leur route chemin? En sortaient ils indemnes? On volait un peu d’eux même. Une particule perdue.
Pourquoi lui? Qu’avait il de plus que son voisin? Sans doute pour les yeux du photographe parti
avec une image, son image. Paul avait, par remords sans doute, suivit une de ses victimes
photographiques, à Nantes. En passant devant une vitrine, celle-ci le rassura sur l’intégrité de son corps,
quelque part, cette réflexion l’avait touché. Il se surveillait, faisait attention en recherchant son ego.
De minuscules lumières rayonnent en chacun de nous, l’oeil de l’autre les ravive et peut apporter de
nouvelles orientations.
Louvre, station Louvre, Paul se levait en s’excusant de bousculer ses voisins de transports, se frayait
un passage, monta les quelques marches le séparant de l’air libre. Le Louvre allait s’imposer à lui.
Depuis son arrivée dans la capitale, Paul logeait chez une amie. Il avait hésité, de part son habitude timidité,
mais elle lui avait comme imposé, cette cohabitation provisoire. Le temps de son stage à l’agence Gamma.
Paul et Lucie s’était connus à Ré, vacances de Pâques, pluvieuses, fréquentations de bars,
bande de copains. Paul laissait traîner son regard d’enfant triste, sur la petite blonde aux grands yeux bleus.
Pas particulièrement belle, elle jouissait d'un sourire lui rendant douceur interrogative et attirante.
Paul n’avait pas la chance de ses préférées. Lucie était très courtisée, Paul était le bon copain,
chevalier servant. A chaque effleurement de la main sur sa peau, elle marquait un certain recul,
comme refroidie. Il était trop pour elle, un sentiment gâché par une relation sexuelle entre eux.
Sans importance, elle le garderait indéfiniment dans son coeur. Leur chemin s’était un peu
éloigné, presque perdus de vue, gardant de brefs contacts téléphoniques, connaissait bien aussi
ses parents, amis des siens. Lorsque Paul obtint ce stage, sachant Lucie à Paris, il avait
tout de suite pensé à son amie. Précédé, Paul n’avait pas la possibilité de refuser, d’autant que
son niveau de vie ne lui permettait difficilement de loger à l’hôtel. L’invitation tombait à pic.
Lucie, d’amour changeant, avait elle autant d’amants? Paul avait gardé l’envie d’elle, qu’en était- il
aujourd’hui? Il en avait la chair de poule.
Lucie avait donné rendez-vous à la brasserie du Louvre. Arrivé avec un peu d’avance, Paul en profita pour réaliser quelques prises du Louvre, la lumière était encore belle, les lignes architecturales étaient sublimes pour cette soirée. “ Ouh... ouh “, Lucie était tout près de lui. Des centaines de visiteurs attardés n’avaient pas l’air de gêner la demoiselle, la même, sans gêne, naturelle. Tout son contraire. “Je t’invites, il y a des sardines grillés, des pommes de terre nouvelles de Noirmoutier, si si, j’ai regardé la carte, on va se régaler”, cria Lucie en entraînant le jeune homme à l’intérieur de la brasserie, à son bras comme son amoureux. Un vieux serveur, ficelé dans son grand tablier noir, l’invita à prendre place: “ Bonsoir Mademoiselle Lucie, si je puis me permettre, vous êtes de plus en plus ravissante, et ce sourire radieux, quelle chance a ce jeune homme ! Je reviens avec la carte.” “Salut Jean, c’est mon ami, pas mon amoureux. Je te présente Paul, un ami d’enfance; on s’est rencontré dans l’Ile de Ré. Pas besoin de ta carte, je veux que tu nous apportes des huîtres, après.... des sardines grillés, un pichet de gros-plant, du pain et du beurre au sel de Noirmoutier. Dépêches-toi, j’ai grand faim”. Le gentil Jean, disparut sur le champ. Les désirs de la demoiselle étaient des ordres et pas question de la contre-dire. Elle aimait être entourée, de toute façon elle attirait. Paul, en jeune homme bien élevé, tira la petite table de blanc vêtue, Julie se laissa tomber sur l’épaisse banquette de cuir vert anglais. Ils semblaient comme seuls au monde. Lucie riait avec éclats aux plaisanteries de son convive. Il était tard, ils avaient un peu bu, trop de vin blanc, parlaient fort, racontant leurs soirées rocambolesques de leur adolescence, les baignades à poil et les feux de camp sur la plage de Trousse chemise, les virées en boite, leurs nuits blanches un peu alcoolisées, le café et les croissants du petit matin sur le port de La Flotte. Paul se leva en premier pour régler l’addition, mais d’un clin d’oeil au serveur, la jeune fille avait déjà tout manigancé. Comme pour s’excuser de ne pas payer, Paul l’embrassa sur la joue d’un long baiser bruyant. Julie se jeta sur ses lèvres et sorti en éclatant de rire. Paul, ébahi, immobile un instant, ressaisit par l’appel de la jeune fille qui l’attendait à l’extérieur. “ Tu viens, qu’est-ce tu fou ? “ Elle courrait sur le trottoir, si vite comme sur la plage de Ré. S’arrêta, à bout de souffle, affalée sur le capot de sa voiture. Paul la rattrapa pour l’étreindre. Depuis toutes ces années!
La suite des " Histoires de Paul", avec une pensée pour Solange
Paris était beau, une telle soirée, il en rêvait. Paul se faisait conduire dans la plus belle ville du monde par la femme qu’il aimait et désirait depuis toutes ces années. Le chemin du retour semblait interminable, ils étaient pressés de laisser aller leur attirance amoureuse: “une place” s’exclama Paul. La Renault 4 engageait sa marche arrière, bien que de travers. Fermer les portières. La porte cochère de l’immeuble ne voulait pas s’ouvrir, l’ascenseur libre à cette heure avancé de la nuit, leurs corps s’enlacèrent, étreintes contre la moquette brune de la cabine oscillante, le tee-shirt, chemise, jeans, Julie et Paul se retrouvèrent nus, la peau humide de transpiration. Le désir les transportait, gémissants. La jambe gauche de la jeune fille, pour conserver un équilibre, s’appuyant sur un des montants, juste en dessous des boutons de commande d'étage. Le jeune homme pénétrait son amoureuse lorsque le sonnerie de l’étage retentit. Comme des automates, ils attrapaient leurs vêtements, traversaient en courant le couloir interminable, nus, sans se soucier d’une possible rencontre, clef. La porte s’ouvrit, la chambre, le lit, la fièvre de l’amour, chair contre chair, sexe contre sexe, lèvres contre lèvres, unis, jouissance... Le jour se levait sur Paris, les rideaux laissaient filtrer les premiers rayons du soleil, le parquet ciré en était inondé. Le réveil sonna sept heures, les deux corps repus d’amour, il fallait pourtant se sortir du lit. Paul son stage, Julie son travail. Julie travaillait comme coiffeuse dans un grand salon parisien.
La matinée de Paul fut longue. Des archives à classer. Les restes de cette soirée, passée avec Julie, sans cesse dans la tête. Des affiches de quatre sur trois, redessinnait les courbes de son corps, ces lèvres gourmandes, ces seins dressés, la boite de diapos chuta. “Tu n’as pas l’air dans ton assiette” lui lança Thierry, l’archiviste de Gamma. “ Tu n’es pas là pour rêver” rajouta-il! Paul devait passer par cette activité d’archivage. Pas prêt de partir en reportage! Une semaine dans cet antre à classer ou rechercher des images réclamées par les magasines et dans des délais très courts. Pas compatible avec une nuit blanche!. L’heure du déjeuner arrivait comme le messie. Ils se retrouvaient dans un bistrot, dans la rue voisine, steack-frites-bière-café-deuxième café-cigarette, les archives attendaient, les couloirs étroits, l’escabeau, téléphone, changement de rangée, fallait trouver en urgence une photo du Général De Gaulle prise lors de la commémoration du 8 mai de l’année dernière. Pourquoi? On ne se préoccupaient des états d’âme du jeune stagiaire de province et encore moins de remettre en cause les ordres de la direction. Paul roulait l’escabeau, y grimpait , plongeait les bras pour extirper le classeur concernant le Général. Le reste de l’après-midi fut plus calme, soulageant un peu le jeune homme. Thierry, bon gaillard d’un mètre quatre vingt, footballeur à Saint-Ouen. Ailier gauche. Il s’enflammait à parler de son sport favori, du FC Nantes et des Verts de Saint-Etienne. Impulsif, il sautait du coq à l’âne, du foot au filles. Il disait que tout ça, c’est pareil. Il voulait dire que pour plaire ou pour jouer au foot, il fallait assurer, être en forme. Le sexe, pour lui, était important. La drague était son fort. Toutes les filles de l’agence lui plaisaient et il sautait sur tout ce qui portait jupon! Paul, pas habitué à se dévoiler de la sorte, ne se confiait pas facilement. Il n’osait surtout pas montrer son manque d’expérience en la matière. Et comme il n’aimait pas se flatter et encore moins mentir! Il n’avait pas vérifié le nombre des conquêtes de Thierry, peut-être étaient elles imaginaires? Il portait souvent un polo Lacoste rouge et aimait répéter à qui voulait l'entendre:“ tout dans la gueule, rien dans la queue”. Il en riait tout seul, souvent. C’était-il regardé dans un miroir.