J'imagine que c'est en raison d'une victoire de l'équipe de France de rugby, il y a dans mon quartier une sorte de grande surboom en plein air, et le bruit m'empêche de dormir…
Alors me revoici, tremblez…
Hier, on a un peu lu de tout, sur ce fil, et en particulier des références à un
ordre moral. C'est intéressant.
Je recommande la lecture d'un essai d'Elisabeth Badinter,
Fausse route, paru chez Odile Jacob en 2003.
Elle tente de proposer une typologie des féminismes depuis les années 1990, et identifie en particulier un courant de retour à l'
ordre moral, s'appuyant sur l'idée de différenciation des sexes.
Elle écrit notamment :
p. 113 :
A vouloir ignorer systématiquement la violence et le pouvoir des femmes, à les proclamer constamment opprimées, donc innocentes, on trace en creux le portrait d'une humanité coupée en deux peu conforme à la vérité. D'un côté, les victimes de l'oppression masculine, de l'autre, les bourreaux tout puissants. Pour lutter contre cette situation, des voix féministe de plus en plus nombreuses s'en prennent à la sexualité masculine désignée comme la racine du mal. Ce faisant, elles tracent les contours d'une sexualité féminine en contradiction avec l'évolution des mœurs et redéfinissent une « nature féminine » que l'on croyait oubliée.
Plus loin, page 122 :
L'image est omniprésente. Comme nul ne peut plus l'ignorer — pas même les jeunes enfants —, le sexe est partout, exhibé avec crudité au cinéma, à la télévision, dans la publicité, les magazines, la littérature ou les conversations privées. […] L'objectif affiché : mettre fin à deux mille ans de refoulement collectif et de frustrations personnelles. La levée des tabous est aujourd'hui le mot d'ordre avec lequel on ne badine pas. La moindre réticence à ce Nouvel ordre sexuel
condamne celui qui s'y risque à jouer le méchant personnage du censeur, du coincé, bref, du ringard.
p. 185 :
Il n'est pas inutile de rappeler ici qu'en dépit d'un niveau d'études plus poussées que celles des hommes, la proportion de chômeuses est plus importante que celle des chômeurs ; qu'à formation similaire (1), l'écart de salaire se creuse toujours au détriment des femmes ; que le « plafond de verre » n'est pas un mythe puisqu'elle ne représentent que 8% des cadres dirigeants des cinq mille premières entreprises françaises et ne sont que 5,26 % à sièger dans les conseils d'administration des 120 plus grandes sociétés de notre pays.
En en conclusion :
La différence sexuelle est un fait, mais elle ne prédestine pas aux rôles et aux fonctions. […] Une fois acquis le sentiment de son identité, chaque adulte en fait ce qu'il veut et ce qu'il peut. En mettant fin à la toute puissance des stéréotypes sexuels, on a ouvert la voie au jeu des possibles. Ce n'est pas, comme on l'a dit, l'instauration du triste règne de l'unisexe. L'indifférenciation des rôles n'est pas celle des identités. C'est au contraire la condition de leur multiplicité et de notre liberté.
Il est vrai que les stéréotypes de jadis, pudiquement appelés « nos repères », nous enfermaient mais nous rassuraient. Aujourd'hui, leur éclatement en trouble plus d'un. Bien des hommes y voient la raison de la chute de leur empire et le font payer aux femmes. Nombre d'entre elles sont tentées de répliquer par l'instauration d'un nouvel ordre moral qui suppose le rétablissement des frontières. C'est le piège où ne pas tomber sous peine d'y perdre notre liberté, de freiner la marche vers l'égalité et de renouer avec le séparatisme.
Cette tentation est celle du discours dominant qui se fait entendre depuis dix ou quinze ans. Contrairement à ses espérances, il est peu probable qu'il fasse progresser la condition des femmes. Il est même à craindre que leurs relations avec les hommes se détériorent. C'est ce qu'on appelle faire fausse route.
Note : ordre moral souligné par moi.
(1) Il y a aujourd'hui 120 filles pour 100 garçons dans l'enseignement supérieur, et les salariées à temps complet sont en moyenne plus diplômées que leurs collègues masculins. Dominique Meda, Le temps des femmes, 2001.
Attention : loin de moi l'idée de dire que ma co-administratrice ou Nel feraient
fausse route… Juste l'envie de remettre certaines choses à leur place. Le combat féministe n'est pas terminé, et il ne faut pas se tromper de combat.
La liberté est une belle chose, mais s'opposer à des positions personnelles sous prétexte de dénonciation d'un ordre moral (allant jusqu'à évoquer une dictature alors que nous ne sommes que dans un espace de discussion) est peut-être aussi faire
fausse route.