le Pirate Forum
    Une vie

  
Une vie.
Celles de ma mère, de ses frères, de sa soeur.

Il y a encore une survivante, âgée de 87 ans. Les autres vivent encore dans une mémoire de papiers et de photos, celles que l'on retrouve après les décès, dans des boites, en vrac, et qu'il faut déchiffrer.

Ma mère est un souvenir, et des boîtes et classeurs de papiers où je la rejoindrai un jour. Je voudrais lui rendre un hommage.

Née en 1921, ses portraits, de simples photos d'identités, me sourient encore :


On la voit ici derrière la poussette d'enfant, devant la quincaillerie familiale. Assis à gauche, son père. Avec le chapeau à plumes et les lunettes, sa mère. Son frère aîné et sa soeur sont déjà là. Le petit dernier n'est pas encore de ce monde.


En 1927, la voilà orpheline de son père, emporté par une pneumonie. La vie était fragile.


Ma grand mère va devoir élever cette famille seule. Dans la rigueur et la piété.


Voilà les deux soeurs à la fin des années 20, puis le pensionnat (à gauche) dans les années 30.




A suivre...
Quelqu'un qui fait des images ne peut pas être rassurant
Raymond Depardon, Errance

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  • Message par Tito, lundi 5 juillet 2010 à 1h05
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C'est très touchant, une vie, la vie, merci pour ce témoignage.

Merci pour ce témoignage sensible.

  
Ma grand mère se trouva veuve à 33 ans. Elle perdit son mari et l'un de ses enfants, âgé de 2 ans, à 3 semaines d'intervalle, en mai 1927. Le frère jumeau de cet enfant était mort l'année précédente, en 1926.
La vie ne faisait pas de cadeaux, à cette époque.
Elle resta seule avec 4 enfants, ses parents, deux sœurs.
Je ne l'ai connue, ainsi que sa sœur survivante après ma naissance, que portant le deuil, toutes deux vêtues de noir jusque dans les années 60 où elles décédèrent.

Ce deuil les pénétra : une foi inébranlable aidant, les deux fils devinrent prêtres. La grande fille, ma mère, était "bonne à marier", pour reprendre les termes mêmes utilisés par ma tante récemment. Las, elle était très indépendante et avait gardé de sa jeunesse une grande difficulté affective. Pourtant, elle fit des études, passa son brevet supérieur et devint enseignante ménagère.

Son premier poste était dans les Vosges, pas très loin de notre village d'attache. La voilà avec sa première classe, en 1944.


Cette photo de la famille, devant la maison aujourd'hui en travaux, montre que la gaité n'y régnait pas tous les jours. Ma mère est la seule à faire exception.


Ses deux frères, en soutane, sont debout à droite, leur sœur est à leur côté.
Quelqu'un qui fait des images ne peut pas être rassurant
Raymond Depardon, Errance

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Au milieu des années 50, n'ayant pas trouvé l'amour, elle se résigna à faire son devoir.
Elle rencontra mon père par correspondance. Elle s'est ensuite totalement dévouée à lui, était-ce de l'amour ?



Mon père, veuf, avait déjà deux enfants. Elle s'y dévoua également, à sa façon à elle qui était un peu rude. Dans son enfance, l'affection était une denrée rare. Elle n'avait pas appris.



Ils se marièrent en février 55, sous la neige qui les empêcha de se rendre, au volant de leur 4CV flambant neuve, sur les lieux prévus pour la cérémonie. Mes oncles officièrent, comme pour toutes les cérémonies familiales, baptêmes, mariages, communions, enterrements, ....



Et un peu plus tard arriva votre serviteur...!



Le 15 rue Anatole France, à Puteaux, existe encore. Le quartier de la Défense s'est arrêté à 100m à peine.

La suite fut une vie de joies, de peines, qui s'acheva le 1er mai 2001.

J'ai gardé un plein tiroir de choses insignifiantes, lettres, photos, objets personnels, ils ne font plus sens que pour moi.



J'en ai passé tout un tas au scanner. Je vais essayer de les faire revivre. Je vous raconterai bientôt d'autres vies...
Quelqu'un qui fait des images ne peut pas être rassurant
Raymond Depardon, Errance

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Merci pour ce partage émouvant, pour cette intimité qui ressemble à celles que l'on devine au fond des mémoires de nos parents, ou dans les boîtes mystérieuses des greniers.
C'est magnifique de faire revivre ainsi ceux que l'on a aimés.
  • Message par HB, mercredi 7 juillet 2010 à 7h57
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Très émouvant. On voudrait les garder indéfiniment :(

  
Jacques, pote
J'ai gardé un plein tiroir de choses insignifiantes, lettres, photos, objets personnels, ils ne font plus sens que pour moi.

C'est du beau travail que de retrouver et de faire partager toutes ces "choses insignifiantes" qui sont cependant tellement importantes pour la mémoire individuelle et collective.
Lorsque que "la vie de notre quotidien" m'est trop difficilement supportable, j'aime à me plonger dans les livres qui reproduisent les photographies prises au cours des derniers siècles. Un régal ! Pour les parisiens il existe toute une collection qui retrace la vie des 20 arrondissements. Mais je sais que cela se fait pour de nombreuses villes.
Ce n'est pas uniquement de la nostalgie que certains me reprochent parfois. Mais l'impression que ces "traces" n'auront pas de suite et qu'il faut en profiter.
Quand je constate le rapport des plus jeunes à l'image (et à la photographie en particulier) je suis étonné de leur "désintérêt". Ils aiment bien de temps en temps (pas trop longtemps sinon cela devient grave lourd ou ça les gave) regarder quelques photos. Mais pour eux, hormis l'utilisation du téléphone qui fait de la photo, cela ne semble guère faire partie de leur préoccupation.

"Autrefois" (ben oui ma brave dame...) on photographiait pour laisser un témoignage de la vie ; qui pourra, dans vingt ou trente ans aller fouiller dans les puces de l'iPhone ou autre numérique à bas ou très haut coût, pour y retrouver les visages autrefois aimés, les disposer sans ordre sur la table en s'écriant "Tu te souviens de la twingo verte de grand mère ? Et celle là, c'est pas le jour où papa a renversé sa bière sur le clavier de l'ordi. La crise qu'il a pris ?..."

Si le Picdel n'était qu'une grosse boite à chaussure, j'aimerai bien continuer longtemps à y aller fouiller afin de retrouver des traces de vie...

NB. Jacques, pote tes scans sont très propres ce qui ajoute encore au plaisir.

  
Tromer
NB. Jacques, pote tes scans sont très propres ce qui ajoute encore au plaisir.


Ils étaient fait avec un vieux scanner grand public, un Epson 1640SU, piloté avec Vuescan.
Etaient car le scanner ne répond plus depuis ce dimanche. J'ai eu du mal à finir.

Je suis par ailleurs devenu un virtuose de l'outil retouche...
Quelqu'un qui fait des images ne peut pas être rassurant
Raymond Depardon, Errance

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Je me demande si un scanner "premier prix" n'est pas une bonne solution pour certaines vieilles photos? Je suis en train d'essayer de sauver un vieux tirage de 1919 très abimé. Je travaille actuellemnt sur un scan fait avec un V700 et j'ai trop de détails (le moindre petit défaut est très visible, notamment des centaines de trous microscopiques). Le scan que j'avais effectué avec une chose à 150 euros me semble meilleur. Perplexe, je suis :wink:

  
Touchant. La mise en page de ces bribes de souvenirs est magnifique.
Je suis très proche de Tromer. Ces photos, ces papiers et ces souvenirs imprécis donnent forme à une vie.

Ces traces de vie me font penser aux évocations récurrentes de Patrick Modiano.

Merci !
touche pas à mon hamac !
http://barnackla404.blogspot.com/

Jacques, pote
Ma mère est un souvenir, et des boîtes et classeurs de papiers où je la rejoindrai un jour

Modiano pour l'ami Garotinho - et les derniers mots des Champs d'honneur de Rouaud, pour ma part. (Tout ce qu'il m'en reste, d'ailleurs mais c'est suffisant, dans une certaine mesure).
"La foule se retire peu à peu du cimetière, et il reste seul dans le grand silence intérieur face à l'appel emmuré des siens, insensible aux tapes amicales qui empoignent maladroitement son épaule, aux mots d'encouragement qui se résument pour la plupart, devant la vanité des paroles, à la formulation de son prénom. La petite tante arrivée derrière lui le tire par le manteau, insiste, et, après quelques rappels, emporte sa décision. Il veut bien essayer encore. Il remonte l'allée centrale en compagnie de cette petite force têtue - oh, arrêtez tout".
La flotte sur Lyon, aujourd'hui mais les kiosquiers sont à l'abri. :wink:

  
Témoignage très émouvant et d'une grande simplicité. Je suis très touché.

  
Ciel : Line !

Oui, notre Jacques, bien loin du fataliste, possède un vrai talent pour raconter avec simplicité de touchantes histoires.

  
Je me permets de poster une autre vie, à la suite de Jacques, Pote. Si vous préférez que j'ouvre un nouveau fil, n'hésitez pas à me le dire, je déplacerai...

Une vie : celle de mon grand-père maternel, que j'ai adoré.

Naissance à Berlin, en 1896, dans une famille bourgeoise, protestante. Felix est le 4e enfant d'une fratrie de 5. Un frère ainé est mort en bas âge avant sa naissance.

Berlin, 1899 :

L'enfance est heureuse.
1906, au bord du lac de Wannsee (en haut à droite):



1912, en vacances avec son père et sa sœur ainée :



1915, après s'être engagé sur le front de l'Est où il est gravement blessé, il est envoyé à Verdun
Il n'en parlera quasiment jamais, sauf à demi-mots, avec de l'épouvante au fond des yeux.
(à droite sur la photo)





La vie reprend. Il devient amoureux.
Nouvelles heures de bonheur au bord de Wannsee, avec sa fiancée, son frère, son beau-frère, ses neveux...



Le mariage ne se fera pas. Je ne sais pourquoi. Mais il rencontrera ma grand-mère peu de temps après.
Ambiance berlinoise des années 20. La vie est ouverte devant eux.



Il est beau. Il me fait penser à Gustav Mahler jeune.


Le voici attentionné auprès de sa jeune épouse qui attend leur premier enfant.



Il est fier de son premier fils, cet oncle que je n'ai jamais connu, mort d'amour à 25 ans.



4 autres enfants viendront agrandir cette famille, dont ma mère, 2 ans plus tard



Il a 43 ans et 5 enfants quand éclate la guerre. Enrôlé dans la Wehrmacht comme officier, il sera à Paris en 1943.
Je n'ai jamais voulu en savoir davantage.



La vie reprend.
La famille, éparpillée par la guerre, mettra plus d'un an après la fin de la guerre pour se retrouver.



Sans maison —détruite par le bombardement de Dresde— ni bagage —hormis une poignée de photos et une bague sauvée des flammes— ma grand-mère a vécu dans les forêts de l'ouest de Berlin avec ses 5 enfants, en attendant de retrouver mon grand-père qui sera nommé à la tête des finances de la ville de Krefeld, dans l'ouest de l'Allemagne.
Il y restera jusqu'à sa retraite.
Le voici comme je l'ai en mémoire : fumant le cigare, qui embaumait tous les lieux qu'il habitait. L'odeur du cigare joue pour moi le rôle de la plus forte des madeleines de l'enfance.



Ma mère est la première de ses enfants à partir. La voici, entourée de ses parents et de son petit frère, à Bruxelles, où elle a rencontré mon père, un français, fils d'officier de marine...
Un couple franco-allemand dans les années 1950, ça méritait bien une enquête de part et d'autre, pour savoir si la fiancée allemande était issue d'une famille convenable pour mériter le fils, et si le fiancé français était digne de la fille...
Les deux partis ont dit oui. Et voilà pourquoi je peux être ici aujourd'hui à vous raconter cette histoire...



Après la naissance de ses petits-enfants francophones, mon grand-père, âgé de plus de 70 ans, ira plusieurs années de suite à l'université pour parfaire son français. A la maison, en effet, ma mère ne nous a jamais parlé allemand. Dans les années 60, le bilinguisme, surtout franco-allemand, n'était pas bien vu...



Ce vieil homme qui se promène au Parc de la Tête d'Or de Lyon avec 2 de ses petits enfants était le meilleur des grand-pères.



Ici, dans le jardin de la maison de Berlin, qui m'accueillera près de 30 ans plus tard.
Je l'aimais.



Il est mort voici plus de 25 ans, mais l'odeur du cigare me fait toujours vibrer.
  • Message par HB, mardi 24 août 2010 à 8h13
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Belle et grande histoire, sans doute simple, pourtant je l'ai lue deux fois, les larmes pas loin, merci de dévoiler un peu de ton histoire :bise:

Merci Marielle pour cette vie qui recoupe si profondément l'histoire européenne après les nationalismes du XIXème siècle.

Un fort bel ensemble si émouvant.

Cela serait bien de lui donner un prolongement au delà de ce post.
  • Message par Garp, mardi 24 août 2010 à 8h53
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Les histoires de familles sont extraordinaires. Celle-ci raconte une bonne partie du 20° siècle sous un angle différent. Fallait-il être très amoureux pour passer au delà des préjugés de l'après-guerre. Merci Marielle pour ce récit.
:bise:
L'idée d'un univers infini me rend fou

très beau et très émouvant. Quelle chance d'avoir pu préserver ces magnifiques photos!

Après celui de Jacques, pote, beau témoignage de l'esprit de famille, que je n'ai pas, au travers d'une époque qui m'a profondément marqué, en observateur, car j'étais trop jeune pour agir.
Merci Marielle.
Rien ne peut être pensé sans son contraire.
Héraclite

Sels d'argent et précipité de vie... L'exercice est toujours aussi touchant, image après image.
Merci d'avoir ouvert l'album. :wink:

  
Si nos deux auteurs ont eu un sens étonnant du récit en images, à partir de ce matériau modeste qui remplit les vieux tiroirs, Nathalie possède toujours quant à elle ce sens aiguisé de la formule : « Sels d'argent et précipité de vie… »

:salue

  
Belles photos ! Beaux souvenirs !

On en parle parfois peu. Je retiens surtout de ce temoignage, l'odeur du cigare.
Peut-être encore plus que les photos, les odeurs déclenchent des souvenirs enfouis dans la mémoire.

Merci pour les photos.
touche pas à mon hamac !
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